Interview Lenna Lockwood.
Lenna Lockwood, WELL AP, WELL Faculty, Evaluatrice Circolab, Living Future Accredited, architecte d'intérieur de formation, chef de projet aménagement et design chez ARP Astrance, nous présente aujourd'hui les enjeux des certifications immobilières. Zoom sur les labels WELL et OSMOZ.
Quelles sont les grandes tendances aujourd'hui de la certification ?
Aujourd'hui, les certifications environnementales sont très bien connues. L'étude Colliers a publié une étude selon laquelle 95% des projets parisiens ayant déposé un permis de construire cherchaient un label environnemental en 2021. Avoir une démarche environnementale puis la valider par un label est devenue presque une donnée d'entrée pour les bâtiments.
La prise en compte des labels "confort, santé, bien-être/qualité de vie au travail" est bien moins une donnée d'entrée. C'est une démarche beaucoup plus récente par rapport aux labels environnementaux comme, par exemple, le LEED qui a été le premier label environnemental à avoir connu un grand succès et qui a été lancé en 2000. Le label WELL, premier label "confort, santé, bien-être" en comparaison, n'a été lancé qu'en 2014. C'est donc un marché plus récent, bien qu'il connait un grand succès. Aujourd'hui, nous pouvons voir en terme de labellisation "confort, santé, bien-être/qualité de vie au travail" que c'est une prise en compte irrégulière. Les principes sont souvent utilisés comme une feuille de route mais si ces notions sont une donnée d'entrée, la labellisation, en elle-même, l'est moins. Dans notre expérience, moins de 20% des projets vont jusqu'à cette labellisation.
Pensez-vous qu'il y a un essor croissant de cette labellisation WELL qui permettrait de la transformer comme une donnée d'entrée ?
La grande différence, c'est que les labels environnementaux sont souvent portés par celui qui construit ou rénove le bâtiment: le bailleur ou le promoteur. Ces parties prenantes poursuivent ces labels CSB/QVT, mais ces labels "confort, santé, bien-être" sont naturellement plutôt une démarche preneur, qu'une organisation fait pour elle-même, pour ses collaborateurs. Aujourd’hui il y a plus de certifications WELL par exemple du scope promoteur (ce qui s’appelle le WELL « Core ») que du scope aménagement intérieur et c’est parce qu’on n'a pas encore ce réflexe de certifier les aménagements intérieurs bien que ce soit très intéressant. Que ce soit la certification WELL ou OSMOZ, un grand nombre des piliers s’adresse aux politiques d'établissement: des avantages mis à disposition des collaborateurs, au-delà des qualités intrinsèques du bâtiment: comme la qualité de la lumière et de l'air. Il y a des parties qui vont bien au-delà d'un scope projet immobilier.
Comment le bien-être est-il devenu un enjeu stratégique, emparé par les labellisations?
Le "confort, santé, bien-être" est un enjeu stratégique car les collaborateurs, aujourd'hui, sont très demandeurs. Les enjeux sont multiples: nous avons tous goûté au télétravail et à la flexibilité, nous nous sommes tous posés des questions sur le mode de travail, sur son confort, son cadre, sa qualité. Ce départ du bureau nous permet d'y revenir avec un nouveau regard et nous sommes devenus plus exigeants. Nous avons le choix, aujourd'hui et il faut donc donner une raison de venir au bureau: retrouver les collègues mais également se sentir bien au bureau. La plupart des entreprises ont gardé une à trois journées de télétravail par semaine. Aujourd'hui, si les collaborateurs ne se sentent pas bien au bureau, ils ne voudront pas y revenir. Donner envie aux collaborateurs de revenir, leur proposer un cadre de travail à la fois confortable, adapté et agréable est un enjeu essentiel. L'autre enjeu est tout simplement générationnel: la génération qui intègre depuis seulement trois-quatre ans le monde du travail se pose beaucoup plus de questions sur la manière dont elle souhaite travailler, sur le sens de la vie, ses aspirations et ses attentes. Si le travail ne permet à cette personne de vivre sa meilleure vie, elle cherchera ailleurs. #liveyourbestlife.
Ce n'est plus suffisant de proposer un salaire et un équipement de base, les demandes d'aujourd'hui vont bien au-delà. La labellisation est un outil de normalisation et de démarcation. Elle permet un futur collaborateur ou un preneur de comparer les bâtiments ou les entreprises, d’observer s’il a été labellisé et a obtenu un certain niveau. La labellisation est à la fois un outil de comparaison pour distinguer deux offres de travail ou immobilières mais c’est également un outil de confiance. Un projet "confort, santé, bien-être" peut apporter de la méfiance pour les collaborateurs, ceux-ci peuvent craindre que le label sert à embellir une démarche de rationalisation des espaces qui leur déplaise. Le label sert alors de preuve pour montrer que la démarche de CSB, de QVT a réellement été mise en place et validée par une tierce partie.
Quelle spécificité remarque-t-on au niveau de la certification en France ?
Dans les pays anglosaxons les preneurs ou les occupants sont les premiers à faire cette démarche pour eux-mêmes et à aller jusqu'à la labellisation. En France, la labellisation reste encore une démarche majoritairement bailleur ou promoteur et moins des occupants finaux.
Que ce soit la certification WELL ou OSMOZ, elle est plus souvent faite sur le périmètre de la construction ou du projet et plus rarement sur le périmètre des aménagements intérieurs. En France, la prise en compte par les preneurs est vraiment la moindre dans tous les pays européens. Aux Etats-Unis, c'est très bien pris en compte par les preneurs, au Royaume-Uni également, et en France, cela arrive encore lentement. Pourtant, que ce soit pour la certification WELL ou OSMOZ, cela a tout son sens qu'elle soit portée par l'entreprise occupante finale.
Nous venons de livrer le projet Archipel de VINCI à Nanterre qui aidera peut-être à changer la donne car ils ont cherché la labellisation OSMOZ sur le levier bâtiment mais aussi aménagements intérieurs. Actuellement nous suivons un projet où le bailleur a certifié le bâtiment et le preneur certifie également ses aménagements intérieurs. Cela n'est pas redondant et au contraire, c'est une démarche qui va main dans la main. Ce qui manque pour une meilleure prise en compte par les organisations pour elles-mêmes, c'est que ce sont des démarches pluridisciplinaires, c'est ça, la clé de la réussite. Aujourd'hui, on sait comment faire un bâtiment durable, sain, qui va promouvoir le confort, la santé et le bien-être par ses qualités structurelles et ses techniques, mais le fait d'impliquer les ressources humaines, la communication, les collaborateurs, les workplace experience managers, toutes ces parties prenantes, dans un projet de labellisation, cela reste atypique. La clé de la réussite d'un projet de "confort, santé, bien-être", c'est qu'il soit porté par le plus haut niveau. Il ne suffit pas qu'il soit soit porté par une direction immobilière. Il doit être intégré par la partie ressources humaines. Le ROI n'est pas ressenti au niveau immobilier. Le ROI d'un bâtiment durable peut être constaté à travers ses factures énergétiques. Le ROI d'un bâtiment confortable et sain, se voit, a contrario, dans la partie humaine: moins de turn-over, des collaborateurs satisfaits, créatifs, avec de nouvelles idées et qui se sentent bien et peuvent participer pleinement. C'est un ROI qui va bien au-delà d'un projet immobilier, il se recentre dans la partie ressources humaines et succès de l'entreprise.
Quelles sont les spécificités d'une labellisation OSMOZ par rapport au label WELL HSR ?
Le label WELL HSR est un label proposé par IWBI, le créateur du WELL et est une adaptation du référentiel WELL focalisé sur la santé notamment en exploitation, et qui a été lancé autour de la covid. Nous avions cet enjeu de transmission de la maladie et du manque de confiance qui pouvait entourer le bâtiment quant à la propagation des maladies pour les collaborateurs. Le WELL, la version « entière » , est un label très complet pour le "confort, santé, bien-être" et est très comparable à OSMOZ.
Une des différences entre le WELL et OSMOZ, c'est que si le WELL est complet, l'OSMOZ est encore plus complet. La deuxième différence sont les prérequis de performance présents dans le WELL : le WELL se focalise sur dix thématiques et il faut atteindre un minimum de performance dans toutes les catégories. Il faut traiter à la fois les qualités techniques du bâtiment et les politiques de l'établissement. Ceci donne des projets qui atteignent tous une base de performance équilibrée et ou les thématiques essentielles comme la qualité de l’air, l’acoustique, l’éclairage, le confort thermique, sont traités dans tous les projets. Comme OSMOZ est plus large, il est également plus flexible. Chaque projet peut décider sur quel(s) périmètre(s) se pencher: le bâtiment, les aménagements intérieurs ou une focalisation sur les politiques RH et l'animation des lieux. Et dans ces trois grands périmètres chaque projet choisit les thématiques qui lui ressemblent. C'est ce qui rend la certification OSMOZ particulièrement intéressante. Une entreprise peut choisir de faire une certification OSMOZ mais de ne pas réaliser de travaux et travailler juste le volet RH et animation. OSMOZ propose trois leviers, dont l'un est l'animation RH, on peut faire quelques petits aménagements pour créer des espaces de convivialité et se concentrer sur ce qui est proposé comme animation pour se faire certifier que sur cette partie. OSMOZ est un référentiel français et est adapté à notre façon de faire: à nos projets, à notre réglementation, à nos normes. Parfois, quand on fait une certification WELL, nous avons besoin de chercher des équivalences, certains points n'ont pas forcément de sens dans notre contexte – mais parfois c’est aussi un avantage ! Une deuxième spécificité, la certification WELL vise vraiment la santé, le confort et le bien-être pour toutes les typologies de bâtiments et même au-delà des bâtiments (quartiers, entreprises) tandis qu'OSMOZ a vraiment été pensé pour les espaces de travail. Un des points de départ c'était la qualité de vie au travail: comment agir en tant que concepteurs de travail sur la question de la qualité de vie au bureau ?
Quels sont les nouveaux enjeux de santé, bien-être, mobilité des occupants dans la certification OSMOZ ?
Dans OSMOZ, nous pouvons aller très loin sur les sujets de mobilité et de flexibilité, télétravail. OSMOZ permet de valoriser les horaires flexibles, les mobilités douces, la réflexion sur un plan de mobilité, l'intégration de la notion d'un mode de travail hybride.
Ces réflexions ont été abordées déjà avant la crise mais on venait tout juste d'arriver sur ces questions de télétravail, travail hybride, impact environnemental du télétravail vs de venir au bureau, etc. Aujourd'hui, c'est une réelle prise en compte.
Il y a également un volet sur l'équilibre vie personnelle et vie professionnelle. Maintenant que les frontières entre vie privée et vie professionnelle sont moins claires, il est encore plus important de réfléchir aux différents moyens pour soutenir le collaborateur et lui permettre de se reposer, de se restaurer et de revenir au travail la tête reposée. Le fait de travailler plus, n'augmente pas forcément notre productivité et on constate la tendance que les personnes en TT font parfois des plus longues journées et ont du mal à poser le crayon. L'OSMOZ avait déjà des propositions de points sur ces thématiques mais elles sont devenues encore plus importantes. Dans le WELL et dans l'OSMOZ, il est possible de favoriser la formation des managers pour reconnaître les signes d'un collaborateur en difficulté ou sur la gestion du stress. Il est également possible de proposer une animation autour de la pleine conscience, de l'activité physique, que ce soit des cours en présentiel ou en distanciel. L'application anglaise Thrive propose une sorte de coaching sur mesure, basé également sur le CBT – ce type de solution répond aux deux référentiels. L'entreprise peut donner un abonnement aux collaborateurs en difficulté. La société aujourd'hui souffre, il y a beaucoup de personnes en burn-out ou en dépression. Ainsi, toutes les offres autour du "confort, santé, bien-être", que ce soit pour soigner le physique par le sport, le repos et la programmation autour de la gestion du stress, elles sont vraiment essentielles. Il y a également la biophilie qui n'est pas un nouveau sujet mais dont la prise en compte devient de plus en plus importante, c'est une stratégie désormais plutôt bien connue, même si souvent mécomprise. Les collaborateurs sont plus demandeurs de nature, d'éclairement naturel et de matières naturelles par exemple.
Le wellbeing pour vous, c'est quoi au quotidien ?
C'est l'équilibre. L'équilibre n'est jamais acquis. Il s'agit de ralentir, il ne sert à rien de pousser à l'extrême. Prendre ces cinq minutes pour moi: prendre l'air, me promener, me permet de revenir à mon travail et d’être plus efficace, jusqu’à 30% même, selon des études. La productivité n'est pas juste de carburer jusqu'à l'épuisement. Il faut se ressourcer pour pouvoir donner ensuite.
En 5 points clés, comment résumeriez-vous cette interview ?
Les choses essentielles à retenir c'est que le label OSMOZ est particulièrement adapté à notre marché et à nos enjeux en France.
Il est flexible et peut s'adapter à différents périmètres: que ce soit au niveau du bâtiment ou des animations des ressources humaines.
La démarche de labellisation peut servir soit comme une feuille de route pour s’en inspirer, soit pour aller jusqu'à la labellisation, mais le plus important reste la démarche.
Ce qui est aussi à retenir, c'est que les collaborateurs qui arrivent sur le monde du travail sont très demandeurs du “confort, santé, bien-être”, le marché du travail est très compétitif aujourd'hui. C'est devenu, aujourd'hui, une des priorités pour l'entreprise : que peut-elle offrir pour notre bien-être ?
Une dernière clé de réussite pour le succès d'une démarche “confort, santé, bien-être”, c’est d’avoir une approche pluridisciplinaire et intégrée. Elle ne peut pas être portée seulement par une direction immobilière, il faut impliquer toutes les parties prenantes, surtout les RH, la RSE, et les workplace experience managers. Cette démarche doit être portée au plus haut niveau de l'entreprise.